top of page

Série de réflexions sur le temps du Carême

 

Père STEPHANE - Pour beaucoup de gens, le mot de Carême évoque une période de l'année triste et morose, un temps de privation dont l'approche inspire une sorte de malaise, comme un sentiment de pesanteur et d'inquiétude

            Tel n'est pas le sentiment de l'Eglise qu'expriment les textes des Offices de ce temps liturgique. Et si paradoxal que cela puisse nous sembler, ces textes que nous lisons et que nous chantons dans nos offices ou le sentiment du repentir affleure si souvent sont en même temps pénétrés d'une joie discrète, d’une allégresse que je qualifierais de “ printanière ”. Pour qui sait voir les choses avec les yeux de la foi, le temps du carême, temps de repentance, est un véritable printemps spirituel, le printemps des âmes qu’une correspondance mystérieuse relie au premier réveil de la végétation dans la nature après le long sommeil hivernal

            Le temps du carême nous le qualifions de temps de TRIODE. En effet, cette période s’appelle ainsi parce qu’à l’office des Matines les canons ne comprennent que 3 odes ( tri-ode ) au lieu de 9 et qu’ils sont contenus dans le livre liturgique propres à ce temps qui porte lui aussi le nom de triode.

 

Le père Jean Gueit se propose de nous parler tout spécialement du PRE-CARÊME. Ce temps du Carême est un appel au travail de l’âme qui doit purifier sa vie. Un appel au travail pour que chacun cherche Dieu et ses mystères, un appel au travail pour que nous ne regardions plus que Dieu.

 

            Je voudrais avant de passer la parole au père Jean Gueit vous lire ces petites phrases écrites par St. Grégoire de Nazianze justement pour ce temps du carême.

 

“  Ce qui fut mon orgueil, dit-il, aujourd’hui est devenu ma honte.

Quel est mon lien avec la vie, quelle en est la fin ?

Eclaire mon esprit, dissipe toute erreur, Seigneur,

Et toi, mets-toi au travail ô mon âme, ne succombe pas à la peine  »

 

 

P. Jean  -

N

 Nous nous proposons de parler de ce que dans la Tradition orthodoxe l’on peut appeler - bien que cela ne soit pas véritablement canonique  - le PRE-CARÊME , c’est à dire les (quatre ou) cinq dimanches qui précèdent le carême proprement dit.

          Il est important de souligner à ce propos qu’il s’agit là d’une tradition spécifique, vraisemblablement perdue dans la tradition occidentale, mais cela ne signifie pas qu’elle n’ait pas existé à une certaine époque.

 

Qu’est-ce que le PRE-CAREME ? 

 

Il s’agit des thèmes de méditations, des thèmes de réflexions que l’Eglise propose à ses fidèles pour se préparer au CAREME proprement dit.

Se pose par conséquent la question du pourquoi de ce pré-carême ?

 

          Le pré-carême s’inscrit dans cette idée que le Carême lui-même n’a de sens que s’il est placé dans une certaine perspective, celle en définitive, de la gloire de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ.

 

Le  fil conducteur de ce PRE-CAREE est précisément le thème de l’HUMILITE

 

          En d’autres termes, le Carême ne doit pas être réduit simplement à des mots bien connus comme abstinence, jeûne, continence. Ces attitudes, ces efforts, cette ascèse, n’ont de place que dans la perspective de la préparation à la venue de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ pour que gloire lui soit rendue. Précisons que l’ascèse existe dans beaucoup de traditions humaines - peut-être dans toutes ou presque, elle peut avoir les mêmes techniques elle n’a pas les mêmes finalités , ce qui est un point important. L’ascèse n’est pas du tout garante en soi de cette ouverture du cœur et de l’esprit à la venue de notre Dieu. Elle peut même être, au contraire, une racine d’enorgueuillessement qui est le contraire de l’ascèse chrétienne.

.

 

·     Le pré-carême commence par le dimanche dit de “ Zachée ” selon Luc 19, 1-10  qui est considéré comme le salut d’un riche.

·     Le deuxième dimanche  est celui de la parabole du Publicain et du Pharisien en Luc 18, 17-14.

·     Le troisième dimanche, nous méditons la parabole du fils prodigue en Luc 15, 11-32

  •        Puis vient le dimanche dit du Jugement Dernier en Matthieu 25.

  •  

·     Et enfin le dernier, intitulé le dimanche de l’expulsion d’Adam mais qui est aussi le dimanche du Pardon,  se fonde sur l’évangile de Matthieu 6, 14-21.

 

          Etant donné que le fil conducteur de ce pré-carême, dans la tradition, est celui de l’humilité, l’ascèse elle-même n’aura de sens que par rapport  à  cette  humilité. Si l’ascèse a pour  finalité,  pour  objectif  de  « travailler » et favoriser la nécessaire humilité de tout être humain alors, elle est un support à cette démarche spirituelle. Si elle ne se place pas dans cette perspective d’humilité elle devient alors une technique permettant d’obtenir certains effets physiques ou psychiques particuliers mais dont les racines plongent la plupart du temps, au contraire, dans l’égocentrisme, la concentration sur soi qui est à l’opposé de l’ouverture du cœur, de l’âme et de l’esprit à notre Dieu.

 

L’humilité

          L’humilité, en langage français contemporain, et par rapport à l’environnement culturel immédiat, (ainsi qu’à une certaine tradition que nous appellerons « occidentale ») doit être précisée, notamment par rapport  à l’humiliation.

           L’humilité n’est pas l’humiliation ! Elle n’est pas l’auto-humiliation Je ne sais pas ce que pouvait avoir comme résonance la notion d’humiliation dans les siècles passés, mais aujourd’hui, il est évident que l’humiliation draine un sentiment que l’on pourrait presque qualifier de masochiste, et qui se traduit par des attitudes d’auto-flagellation, qu’elles soient physiques ou morale.

 

          Il faut dire qu’une certaine chrétienté à certaines époques a certainement un peu suscité cette attitude d’auto-flagellation. Or l’humilité ne s’aurait s’inscrire en aucun cas dans cette perspective, pour la simple et bonne raison que l’on ne peut pas commencer une démarche spirituelle vis à vis de notre Dieu, et vis à vis du  prochain - les deux étant inséparables - autrement qu’en s’aimant soi-même.

 

S’aimer soi-même

 

           Cela peut paraître paradoxal et c’est pourtant le commandement lui-même qui nous le dit. Le Christ confirme que le premier et le plus grand commandement qui récapitule toute la Loi et les Prophètes est le premier commandement du Décalogue de Moïse : “  Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, et de tout ton esprit et ton prochain, comme toi-même . Très souvent, on oublie ce dernier petit morceau “  comme toi-même  ”. On ne peut  aimer ni Dieu ni le prochain si on ne s’aime pas !

 

          Que veut dire s’aimer ? C’est s’accepter, se respecter, mais non pas du point de vue spirituel, dans le sens d’une auto-déification mais avec la conscience que je suis bien une créature de Dieu et parce que Dieu m’aime - en tant que Sa créature - je dois me respecter, et m’aimer moi-même. Et ce n’est qu’à partir de cette acceptation là que toute autre démarche sera possible !

 

          L’humilité commence par l’acceptation, la foi dans la lecture biblique de l’histoire de l’Humanité. Il s’agit d’un rappel essentiel, dans  notre environnement culturel, scientifique et philosophique .

Qu’est-ce que la lecture biblique de l’histoire de  l’Humanité ? Il s’agit ici tout simplement  des premiers chapitres du livre de la Genèse posant comme condition, pour nous incontournable, la vérité d’une Création, donc d’un Dieu Créateur - Principe de toute chose. L’homme placé au centre de celle-ci se détourne, se coupe, engendre une rupture, se révolte, et c’est la séparation, c’est la chute, c’est le péché. Il convient de rappeler encore une fois qu’il n’y a pas de démarche spirituelle et de rencontre possible avec notre Dieu si l’on n’accepte pas ce point départ!

L’Humanité entière - et comme le dit la Tradition patristique - à partir de la révolte, à partir de l’auto-déification de l’homme (le Tentateur dit bien “ vous serez comme des dieux ”) le monde entier, le cosmos entier, sont entraînés dans un chaos, dans un véritable cataclysme qui résulte de cette désobéissance et de cette rupture.

 

 

 

          Le deuxième stade, qui résulte bien entendu du premier - il en est le prolongement - c’est l’acceptation de l’idée que l’homme, à partir de ce cataclysme, ne peut plus rien par lui-même. Ce qu’il accomplit éventuellement de bon, est dû au fait même qu’Il est à l’image de Dieu, ternie certes, et non pas fondamentalement par ses propres forces.

 

          Comment ne pas s’en rendre compte, en cette fin de ce XXème siècle, avec l’accélération du progrès dans les idées, dans la pensée, mais aussi du progrès matériel, scientifique ? Comment ne pas se rendre à l’évidence qu’après des siècles de développement des civilisations, chacune ayant certes sa spécificité, chacune ayant voulu tendre vers une sorte de rétablissement, ou d’établissement de situations plus ou moins paradisiaques, notre civilisation occidentale, historiquement biblique, chrétienne  participe largement à ce processus. Et quel est le bilan aujourd’hui ?

Oui, nous arrivons à des connaissances, nous touchons de plus en plus près le mystère même de la Création, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, mais sentons-nous vraiment que nous tendons vers une situation, appelons-la, paradisiaque ? Bien évidemment non !

 

Car derrière chaque invention, chaque acte de l’être humain, à quelque niveau que cela soit, dans quelque domaine que ce soit, nous sentons les deux facettes, positive et négative. Positive, parce que le don d’invention nous vient de ce talent accordé par Dieu à l’homme ; mais le genre humain ayant voulu récupérer ce don pour lui-même, et exclusivement pour lui-même, au nom de cette auto-déification, (“ vous serez comme des dieux ”) ce don a toujours deux effets.

 

 

          Co-responsable, mais non co-créateur, l’homme peut transfigurer ou défigurer, c’est bien ce que nous observons. Au plan personnel, comme dernier point d’introduction sur le thème de l’humilité,  soulignons ce sentiment d’impuissance que chacun incontestablement ressent. Il serait malhonnête de le nier ; cependant nous avons du mal à le reconnaître vis à vis de l’autre,  et il est encore plus difficile de le reconnaître vis à vis de nous-mêmes !

Pourtant si l’on se penche sur cette donnée, si l’on y réfléchit, si on y médite, on se rend compte à quel point nous sommes tous psychologiquement « impuissants » !  St. Paul l’affirme avec force:  “ Tout ce que je veux faire, je ne le fais pas; et tout ce que je ne veux pas faire, je le fais  ”

 

 

 

 

 

 

Les  5   thèmes du PRE-CAREME

 

Cinq thèmes nous sont proposés: le « désir » de Dieu, l’humilité, le repentir, le service du frère, le pardon. On peut les inscrire dans une démarche unique. Le désir suscite l’humilité qui permet le repentir qui ouvre le cœur au frère en lui accordant le pardon.

 

1    Le  Dimanche  de  ZACHEE

 

L

e pré-carême commence par le thème de Zachée.  Bien qu’il n’y ait pas d’hymnologie sur le thème de Zachée, « le dimanche de Zachée » précède toujours le dimanche du Publicain et du Pharisien et donc entre dans ce cycle du pré-carême.

         

Zachée, chef des collecteurs d’impôts, riche, cherchait à voir qui était Jésus, et ne pouvait y parvenir à cause de la foule et parce qu’il était de petite taille. Il courut en avant et monta sur un sycomore afin de voir Jésus qui allait passer par là. Quand Jésus arriva à cet endroit, levant les yeux, Il lui dit: « Zachée, descends vite; il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison ».Pour que le Seigneur s’invite ainsi chez ce riche, c’est qu’Il a deviné en lui ce désir que Dieu attend et espère de tout homme. Compte tenu de ce que nous venons de rappeler, (le chaos, la déchirure, le cataclysme entre la Création et son Créateur), pour  que Dieu vienne à notre rencontre, pour qu’Il « s’invite chez nous », il faut en avoir le désir.

          Un désir qui peut parfaitement être conscientisé ou pas, mais qui s’inscrit toujours finalement dans une nostalgie, la nostalgie de ce Paradis perdu. Les chrétiens ne sont pas les seuls à avoir  écrit, chanté la nostalgie du paradis perdu ; quel est l’être qui n’éprouve pas cette nostalgie !

 

DIMANCHE   de    ZACHEE

DIMANCHE du PUBLICAIN et du PHARISIEN

DIMANCHE du FILS PRODIGUE

DIMANCHE du JUGEMENT DERNIER

DIMANCHE de l’EXPULSION d’ADAM du PARADIS ou DIMANCHE du PARDON

Le problème de la « nostalgie » est qu’elle est presque toujours inconsciente et ce qui est important, c’est le passage de cette nostalgie encore inconsciente à la prise de conscience de la nostalgie qui devient alors le désir de se tourner vers notre Dieu et de pressentir qu’il n’y a pas d’autre lecture possible, qu’il n’y a pas d’autre solution : c’est là toute l’histoire de la Bible, c’est toute celle de l’Ancien Testament. Les Prophètes, tous les Saints de l’Ancien Testament sont des êtres qui ont attendu, et parce qu’ils ont espéré, Dieu vient à la rencontre de l’Humanité. Au moment où Il le juge possible, Il envoie son Fils.

          Dans la démarche de Zachée, il y a humilité. Car reconnaître que j’ai un désir devant quelqu’un dont j’ai besoin et me tourner vers lui, cela suppose déjà une sorte de renoncement à soi-même.

Il y a cet élément d’humilité dans le désir qu’exprime Zachée :  et parce que le Seigneur a senti que son désir était authentique, Il a accepté d’entrer dans sa maison au scandale de tous ceux qui sont là.

 Mais il faut noter qu’à partir du moment où le Seigneur entre, Zachée amorce sa conversion, le retournement , la metanoïa  en décidant immédiatement de partager sinon la totalité, du moins la moitié de ses biens  avec les plus pauvres.

 

2    Le  dimanche  du  PUBLICAIN  et  du   PHARISIEN

 

L

e dimanche suivant, le thème se précise, très fortement, avec la Parabole du Publicain et du Pharisien.

 

 

Le Pharisien est celui qui fait tout bien, qui respecte tous les commandements,( on pourrait en termes modernes dire de “ l’Eglise de l’époque »), au niveau de sa vie personnelle, au niveau de la dîme, au niveau de l’offrande, il prie plusieurs fois par jour comme la Tradition le suggère. Il a tout lieu d’être satisfait.

 

 

Père STEPHANE

          D’ailleurs c’est dramatique : il y a une sorte de contresens. Nous nous trouvons devant quelqu’un faisant  tout comme il doit le faire pourtant le drame se joue là !.

 

P. Jean  -  Le Pharisien a beau “ tout bien faire ”, il en tire vanité. Or, la vanité n’est qu’une variante de l’orgueil  - qui est le péché du monde, le péché de l’Humanité, point de départ du cataclysme.

 

 

Cela nous montre en effet, c’est un rappel à l’ordre terrible, dramatique en effet à l’égard de toute pastorale qui vise exclusivement  l’acte objectif : ne pas commettre de péché, d’acte pécheur. Certes, c’est un point important, mais il n’est pas suffisant ; et même peut être avancée l’hypothèse - sans provoquer de scandale - qu’il est plus important de prendre conscience de sa nature pécheresse et corrompue ( dans la sens biblique, ma nature déchue s’étant coupée de son Dieu ) que de respecter d’une manière un peu mécanique et automatique des préceptes. Il est primordial de prendre conscience de ma nature corrompue, mais qui est celle de tout être humain, qui est celle de la création entière.

 

C’est l’attitude du Publicain dont on ne connaît pas le degré ni  la quantité des péchés. Rien n’est dit à ce sujet. Tout ce que nous savons du Publicain c’est qu’il n’ose pas lever les yeux, n’ose pas relever la tête et se montrer fier devant Dieu, mais il prononce cette phrase capitale :“ Aie pitié de moi pécheur ”. Sans doute pourrait-on  penser qu’il se trouve dans cet état d’esprit parce qu’ayant commis beaucoup de péchés « objectifs ».

Il est nécessaire ici de rappeler qu’à travers l’expérience de la  Tradition ascétique chrétienne, ceux que nous appelons des Saints ont  témoigné que plus il avançaient dans la voie droite et dans l’ascèse, plus ils prenaient conscience de leur nature corrompue et plus ils étaient poussés à répéter la prière que la tradition orthodoxe appelle prière de Jésus :“ Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ”. Etant reclus dans le désert ils ne commettent plus d’actes pécheurs au sens classique et traditionnel du terme, ils n’en ont même pas l’occasion. Mais il est possible en restant seul de s’enorgueillir jusqu'à l’extrême.  Le Seigneur Lui même a été tenté par le démon. Au moment où Il s’est retiré du monde , Il a été tenté d’user de son pouvoir divin pour transformer le monde, et non le transfigurer.

Il est important de noter que le Fils de Dieu - et fils de l’homme-, ait pu être dans Son humanité, en fait dans Sa divino-humanité, tenté par cette vanité, dès lors qu’Il S’est retrouvé ici, dans Sa création.

 

          Dans l’office des matines de ce dimanche, il est dit, “  imitons la voix qu‘élève le pharisien, imitons la reconnaissance de l’état de fait du publicain, mais faisons tout cela sans en tirer vanité. ”

          Le Publicain est justifié alors que le Pharisien ne l’est pas à cause de son attitude interne Il est bon ici de rappeler encore un autre point ;  le prolongement de cette nécessaire attitude d’humilité est le fondement même de notre espérance. Nous y reviendrons avec le fils prodigue.

 Bien souvent nous n’osons pas  nous tourner vers notre Dieu car  nous nous disons que « le Seigneur ne peut m’accepter tel que je suis »

 

C’est l’erreur la plus dramatique !

 

Dieu pardonne tout à condition que nous nous présentions devant  Lui  en surmontant notre amour-propre.

 

Bien souvent, nous n’osons pas, même si nous en avons le désir comme Zachée, nous tourner vers notre Dieu car nous nous sentons trop pécheurs. Mais qu’est ce qui nous arrête ? C’est l’amour propre, “ mon ” amour propre; - je sais que je suis pécheur, et mon amour propre m’empêche non seulement d’aller le dire à quelqu’un d’autre, mais il m’empêche même de me tourner vers mon Dieu, parce que je me dis que le Seigneur ne peut pas m’accepter tel que je suis. Et c’est l’erreur la plus grave, la plus profonde, la plus dramatique que nous puissions faire, parce que Dieu nous pardonne tout, absolument tout, à condition que, précisément, nous nous présentions devant Lui en surmontant cet amour propre. Et alors, tout est possible, tout pardon est non seulement possible, mais tout pardon est accordé et donné pleinement.

 Nous répétons dans toutes nos liturgies :“ Tu nous as offert le repentir.(ce retournement ) comme voie de salut  ”Il n’y a pas de salut en dehors de cette voie du repentir, de cette humilité, de ce retournement.

 

P. STEPHANE  -Avec le fils prodigue, on voit bien la progression, telle que nous le propose la sagesse de l’Eglise. Cela c’est fait progressivement, l’expérience même de la vie spirituelle et ascétique  a permis à l’Eglise de proposer ce cheminement et cette démarche.

            Un spirituel disait que si l’on avait perdu tous les textes existants des quatre  Evangiles, et sauvé uniquement ce passage concernant l’enfant prodigue, cela suffisait amplement pour nous dire ce qu’était l’Evangile.

P. JEAN  - Je crois très sincèrement, à titre personnel de pasteur, célébrant et revenant tous les ans à ce moment-là du cycle liturgique, à ce temps du fils prodigue, qu’il s’agit là d’une réflexion tout à fait extraordinaire

 

3    Le  dimanche   du    FILS   PRODIGUE

N

 

ous sommes tous des fils prodigues, il n’y a pas d’être humain qui ne le soit ! Tout simplement parce que dès le départ, cette rupture, cette désobéissance, cette révolte de l’être humain, c’est  la prodigalité

L’Humanité a quitté la maison du Père, n’a plus voulu rester dans la maison du Père, a voulu vivre par elle-même. Que fait le Prodigue : il prend le capital que lui donne son père et va en user comme il le désire. C’est exactement là, l’histoire de la chute. Le don que Dieu accorde à l’homme auquel Il confère la co-responsabilité de la création, c’est ce capital. L’homme prend ce capital et se détourne de la maison du Père, s’en va et le disperse comme il en a envie, avec des moments agréables, d’autres sans doute plus difficiles jusqu'à épuisement de ce capital reçu. Et lorsque l’on vit par soi-même on ne peut qu’épuiser le capital qui a été donné. Ceci est valable pour tout être humain.

 

Le prodigue lui, accepte de se rendre compte, de reconnaître ce qu’il a fait : voilà le cœur de la parabole du prodigue. Le point de départ de l’humilité c’est l’acceptation de toute cette lecture biblique de la création, comme cela était évoqué plus haut, et qui se retrouve ici, nous concernant tous, tous les jours et dans toutes les circonstances de notre vie.

A partir du moment où le prodigue reconnaît son état, il surmonte son amour-propre (et il n’est pas facile de reconnaître que l’on s’est trompé, c’est ce qui est le plus difficile pour un être humain !); cette reconnaissance va lui permettre d’opérer une metanoïa. Il s’agit d’abord du retournement sur lui-même, qui est cette reconnaissance de son erreur lui permettant alors de se retourner - quasi physiquement - de reprendre la chemin de la maison du père . L’humilité  lui donne la force de revenir.

     La miséricorde de Dieu n’attend que ce retournement, ce repentir, cette metanoïa. Or comment se prolonge l’épisode de cette parabole ? Le père voit venir le fils à distance, l’aperçoit, et avant même que le fils n’ait atteint  le seuil de la maison, sort  à sa rencontre.

 

Le Seigneur n’attend qu’une chose : que nous reprenions le chemin du retour vers Lui.

 

Dès qu’Il sent, qu’Il voit que ce chemin du retour vers Lui est pris, Il prend l’initiative d’aller à notre rencontre et prévoit une fête .

Nous avons là toute la question de notre relation à notre Dieu et de Dieu à nous. Le Seigneur n’attend de nous qu’une chose :que nous reprenions ce chemin du retour vers Lui et dès qu’Il sent, qu’Il voit que ce chemin du retour est pris alors, Lui, prend l’initiative d’aller à notre rencontre et prévoit une fête.

Il faut évoquer le personnage du fils aîné resté à la maison, qui lui, a toujours tout bien fait. Il semble qu’il ne soit pas très loin du Pharisien, partiellement en tout cas, sans aller jusqu'à cette vanité ou cet orgueil. Mais du fait qu’il soit resté fidèle en actes - (mais peut-être a-t-il perdu de sa dimension de tendresse) - sa fidélité est une fidélité « à soi-même », et c’est la raison pour laquelle il ne supporte pas bien que le prodigue - qui est lui, l’infidèle revenant à la maison, soit reçu avec un festin auquel sa conduite exemplaire n’a jamais donné droit. Il ressent là une sorte d’injustice : pourquoi celui qui a été infidèle est-il accueilli ainsi alors que lui, toujours resté à la maison, n’a droit à aucune fête ?

 Le père le rassure certes: “ tout ce qui est à moi est à toi ”. Mais ce fils aîné ne manque-t-il pas de quelque chose pour avoir droit à cette fête ? Peut-être lui faut-il reprendre conscience qu’il est bien toujours un fils et que sans manifester une reconnaissance éternelle à son père comme due à un roi, il doit se souvenir qu’il n’existerait pas si la vie ne lui avait été donnée par le père lui-même.

 

P. Stéphane Il ne discerne pas la don de gratuité du père. Il y a cette gratuité du père vis à vis du fils prodigue et ce fils est meilleur que son frère, même dans son péché.

P. Jean  Gratuité certes, ou plus certainement cette autre dimension de l’amour divin qu’est le pardon. Et ce n’est pas un hasard si tout ce cycle termine sur le pardon !

4   Le   dimanche   du   JUGEMENT   DERNIER

 

L

 

Eglise lit le dimanche appelé « du Jugement Dernier » le chapitre 25 de Matthieu. Il y a trois épisodes dans ce chapitre et de par la manière dont ils se déroulent et se terminent tous les trois, ils s’inscrivent dans le moment du Jugement Dernier.

 

Le premier, sans doute le plus important, est celui concernant le service du frère.

Pour résumer ce chapitre très long nous pouvons dire que chaque fois que quiconque d’entre nous accomplit un acte de bonté et de miséricorde au service du plus petit de ses frères, c’est au Seigneur Lui-même qu’il le fait. (visite dans les hôpitaux, dans les prisons, en donnant à manger à ceux qui ont faim en donnant à boire à ceux qui ont soif).

Inversement, chaque fois que nous refusons ou omettons d’aider le plus pauvre - (chaque fois que l’occasion nous est fournie, mais on ne peut pas à titre personnel ou  communautaire prendre sur soi toute la faim du monde. Ce qui nous est  demandé c’est d’aider celui que l’on rencontre) - c’est le Seigneur que nous refusons de servir !

Le point central de ce chapitre, c’est le service du frère, de celui qui est faible, de celui qui est nécessiteux et non pas de celui qui est dans l’opulence et ceci fait écho au commandement «  Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (..) et ton prochain  (...) »

Compte-tenu de notre environnement culturel il faut dire que la sensibilité croissante au phénomène de l’exclusion que nous connaissons souvent dans notre société s’inscrit, entre autre, dans cette parabole. Nous n’avons pas le droit d’exclure l’autre parce qu’il est faible, parce qu’il est pauvre. Cet épisode qui nous est proposé en Matthieu vient éclairer, et soutenir le débat du monde actuel sur le problème de la non-exclusion, quelles que soient les difficultés qui en résultent ; il s’agit là de l’attitude évangélique.

Matthieu nous propose deux autres paraboles. la parabole des dix vierges et la parabole des talents. Peut-être ne s’inscrivent-elles pas d’une manière aussi évidente par rapport à l’humilité, à toute cette démarche  incontournable qui a été rappelée.

 

 

 

En ce qui concerne la parabole des dix vierges, elle fait écho au thème de l’ascèse ou de l’abstinence, de la continence mal comprises et mal vécues.

Les vierges qui ont de l’huile pour allumer leur lampe sont celles dont l’âme reste tendue vers le Seigneur ; inversement celles qui n’ont plus assez d’huile pour rallumer leur lampe sont celles qui finalement se sont enfermées dans leur ascèse, à la limite sans trop savoir pourquoi, peut-être par défi à soi-même, c’est possible, ( il faut savoir qu’il y a des ascèses que l’on s’impose un peu par défi) mais ce n’est pas ce que le Seigneur attend.

La troisième parabole de Matthieu est celle des talents qui peut sembler tout à fait surprenante, d’autant plus que l’image choisie de l’argent, de la monnaie, du profit, de la plus-value, est par ailleurs rejetée par le Seigneur. Pourtant, sans revenir sur l’image de la pièce de monnaie, de quoi s’agit-il ? Il s’agit du don et par un pur hasard, il se trouve que le mot « talent » dans plusieurs langues aujourd’hui signifie « don » alors qu’il définissait à l’époque une monnaie :Il se trouve là une coïncidence heureuse.

La parabole des talents s’appuie sur une image monétaire et bancaire mais concerne le don particulier de chacun d’entre nous. En élargissant  un peu la réflexion sur le pré-carême cela se révèle même important. Que nous soyons appelés à l’humilité devant notre Seigneur, est une chose sûre et certaine, mais nous ne devons pas écraser le don qu’Il nous a donné, le talent qu’Il nous a offert. Il attend de nous - de chacune et de chacun d’entre nous - que nous décelions  le don spécifique qui nous a été accordé et comment nous devons le faire fructifier et non pas le garder pour nous-mêmes !

Ici se retrouve le thème général : nous tous avons voulu « être comme des dieux » nous avons désiré prendre et garder par devers nous, et utiliser à notre seul profit, les immenses possibilités que Dieu nous a données. Or si l’on ne fait pas fructifier le don reçu, il se perd infailliblement.

La fructification des possibilités  que  le  Seigneur  nous donne « re-situe »bien clairement le fait que l’humilité devant notre Seigneur n’est en aucun cas humiliation, sûrement pas auto-flagellation. Le Seigneur attend seulement que nous donnions pleine dimension à toutes les possibilités qui nous ont été conférées.

5  Le dimanche du PARDON ou Dimanche de l’EXPULSION d’ADAM

 

R

etrouver la sagesse de l’Eglise dans toute cette construction à la fois liturgique et spirituelle fait partie également d’une démarche humble. Cette dernière nous est proposée à partir des éléments scripturaires, à partir de la parole du Christ. Il y a une logique de construction car si on n’a pas compris l’humilité, si on n’a pas saisi tout ce développement dans la parabole du Publicain et du Pharisien, du fils prodigue et du Jugement dernier, on ne peut pas comprendre l’expulsion du Paradis et en même temps on ne peut entrer dans le temps du  Grand Carême proprement dit.

 

 

Comme exprimé au début, l’humilité commence par l’acceptation de la lecture biblique de l’histoire de l’Humanité qui est en définitive l’expulsion d’Adam du paradis. Tout part de la désobéissance, du fait que l’on se soit détourné de notre Dieu. 

Il est difficile de dire avec précision ce que peut signifier cette « expulsion d’Adam du Paradis ». Est - ce Dieu qui expulse comme  un service d’ordre chasserait  d’un immeuble ou d’une rue, cela semble improbable. Il est plus raisonnable de penser que l’Humanité elle-même s’est expatriée du Paradis. Le chaos qui provoqué par sa désobéissance lui a fait perdre la perception, la vision même de ce Paradis.

Souvenons-nous qu’à côté de la Croix du Christ, il y a celle du bon Larron lequel avait dû commettre des actions plus que graves pour mériter cette condamnation ! Or c’est à lui - parce qu’il se repent - parce qu’il reconnaît en Jésus le Fils de Dieu, parce qu’il croit que le Christ est le Rédempteur - que Jésus prononce le mot de Paradis ( cas unique dans tout l’évangile) en disant : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi au Paradis »

 

P. STEPHANE - A l’office de Vêpres du samedi soir nous retrouvons une image extraordinaire : Adam s’assoit en face du Paradis, il voit sa propre nudité et pleure sur son état. Il se convainc de ce qui s’est passé en lui, il s’est trompé, il a été son propre trompeur ; il prend la décision de lui-même de revenir à cette terre dont il est sorti .......et le texte se termine en disant : « Seigneur miséricordieux, aie pitié de moi qui suis tombé; ». Vraiment là on perçoit bien que c’est Adam qui est sorti de lui-même et non Dieu qui l’a expulsé !

P. JEAN - Dieu, Amour, Miséricorde et Pardon, ne peut rejeter personne, ne peut expulser personne. C’est nous-mêmes qui quittons Dieu. Reprenons la parabole du Prodigue, celui-ci s’expulse tout seul de la maison du père, demeure paradisiaque, mais il y reviendra........

          Pourquoi le dimanche du rappel de l’expulsion d’Adam du Paradis, c’est à dire expulsion de l’Humanité, est-il en même temps le dimanche du PARDON ?

Nous avons cheminé pendant quatre ou cinq semaines, et en principe nous devrions être prêts à entrer dans la période du Grand Carême, sachant dans quelle perspective il faut le placer, étant entendu que le point d’arrivée est le Christ glorifié. Il sera mis en Croix certes, mais pour descendre dans les enfers et pour vaincre la mort.

Si le point de départ de tout est la désobéissance se traduisant par une « auto-expulsion » du Paradis, le chemin du retour passe par l’humilité ; et celle-ci ne peut pas ne pas déboucher sur l’acceptation de tout autre. Et l’acceptation de tout autre passe nécessairement par le pardon,  le pardon de tout, chose si difficile. Que l’on soit croyant ou incroyant, quelle que soit la philosophie de chacun, il est aisé de savoir à quel point il est difficile de pardonner à l’autre ! Toutes les formules peuvent être entendues sur le sujet : « je pardonne mais je n’oublie pas »" ; ou bien « j’ai oublié mais je n’ai pas pardonné »; toutes les variantes sont possibles. La tradition spirituelle et ascétique dit que le pardon total et ultime entraîne l’oubli ! (La mémoire du cerveau est entraînée dans cet oubli). Il faut dire qu’il y a la grâce de l’oubli et nous, pasteurs, en faisons l’expérience au moment des confessions.

Le pardon lui-même est spontanément difficile parce que nous sommes trop concentrés sur nous-mêmes et que nous n’arrivons pas à faire ce retournement, cela doit nous être facilité par la démarche de la confession. Venir se confesser, demande un effort terrible sur soi-même, sur son amour-propre ! Le fait de venir se livrer devant Dieu, car la problème est là, et non pas simplement devant un homme, - d’accomplir cette démarche qui soit la seule salutaire - nous ouvre les portes du pardon et notamment le pardon de l’autre.

Si je reconnais que je me suis expulsé du Paradis tel que le désirait notre Père-Créateur, je suis conduis à accepter que tout le monde, mon frère et ma sœur, se soient auto-expulsés de la même manière que moi, et que personne n’est  meilleur ni plus mauvais que moi. Nous nous trouvons tous à égalité : dans une égalité, en termes humains, dramatique, et en même temps cette égalité de condition de départ fonde notre espérance dans le salut de tous. « Pardonnez-vous les uns aux autres. Si vous ne pardonnez pas le Père qui est aux cieux ne vous pardonnera pas. Si vous pardonnez, le Père qui est aux cieux vous pardonnera aussi. »

Nous devons nous pardonner tous, et le pardon est possible par rapport à ceux qui ont vécu avant, comme il est possible par rapport à ceux qui vivront après, car dans la Liturgie tout est récapitulé au présent , la prière pour les morts, la prière pour les Saints, tout se tient. Et c’est ce pardon quasi universel qui nous est demandé, qui fonde notre foi et notre espérance dans le salut possible de tous. Tout ceci de telle sorte qu’au Second Avènement il n’y ait pas, il n’y ait plus d’Enfer  malgré toutes les mises en garde qui s’inscrivent dans les épisodes précédemment rappelés.

Si nous fondons toute notre vie sur cette démarche d’humilité devant Dieu, en acceptant tout autre, alors nous contribuons au salut du monde entier.

 

Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !

Tu sais quand je m’assois, quand je me lève ;

de très loin, tu pénètres mes pensées.

 

Que je marche ou me repose, tu le vois,

tous mes chemins te sont familiers.

Avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres,

déjà, Seigneur, tu sais.

 

Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée ;

éprouve-moi, tu connaîtras mon cœur.

Vois si je prends le chemin des idoles,

et conduis-moi sur le chemin d’éternité.

 

                                                                     Psaume 138

bottom of page