Le repentir (metanoia)
La spiritualité orthodoxe ignore l'acquisition des mérites. Pour l'orthodoxie, grâce et liberté humaine se manifestent simultanément. Le don de Dieu, puis le libre choix de l'homme de l'accepter, de l'intégrer dans sa vie. Donc, grâce et liberté ne peuvent être conçues l'une sans l'autre et comme la grâce de Dieu ne peut habiter dans les hommes qui fuient leur salut, la vertu humaine n'est pas non plus suffisante pour élever à la perfection les âmes étrangères à la grâce (saint Grégoire de Nysse).
C'est en ce sens que la spiritualité orthodoxe ne connaît pas l'acquisition des mérites. Pour l'orthodoxie, la sainteté est participation à la présence divine et le saint est un pénitent, un pécheur toujours plus conscient d'être le premier des pécheurs et par-là même ouvert à la grâce. La vie de la sainteté est donc celle du repentir (en grec metanoia, retournement de l’intelligence), qui est la seule porte de la grâce (Isaac le Syrien). Toute la spiritualité orthodoxe passe par le repentir et toute la technique de la prière est greffée sur le repentir.
Le mot de metanoia en grec englobe et dépasse la notion courante de pénitence, parce qu'il désigne surtout le retournement de l'esprit comme moyen conscient de l'existence personnelle. L'homme avait construit le monde autour d'un moi individuel ou collectif, la projection de l'amour de Dieu sur son ego, sur son moi. Avec le repentir, l'homme met l'absolu au centre de son existence. L'absolu, c'est Dieu et, dès cet instant il découvre sa propre misère, il explore ses abîmes qui sont peuplés de monstres, il implore la grâce qui, oriente vers la foi et l'espérance, non vers le néant. Ce retournement de l'être où l’esprit, par la grâce de Dieu, prend conscience objectivement de sa misère, c'est cela le repentir/métanoia. A ce moment là l'homme devient réceptacle de la grâce ; alors le cœur durci de l'homme va fondre dans les larmes, ce don qui rappelle l'eau purificatrice du baptême.
Toute expérience spirituelle, dans l'orthodoxie, qui ne passe pas par le don des larmes, est incomplète, parce que, justement, cela veut dire que l'homme n'a pas fait toute la démarche qu'il devait faire pour que son cœur de pierre, ce cœur dur, insensible, devienne un cœur de chair, un cœur sensible à la grâce de Dieu. Dès l'instant où l'homme atteint ce degré de retournement personnel, ni le repentir ni les larmes ne cesseront, mais à travers ce repentir et ces larmes viendra la joie. Très souvent les textes orthodoxes parlent de « la bienheureuse affliction ».
La prière de Jésus
La prière de Jésus est une invocation continuelle : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». Certains ascètes ne récitent que cette prière-là toute la journée : « que le Nom de Jésus soit comme soudé à ton souffle » C'est Jésus que l'on intériorise en soi, et l’Esprit Saint va descendre dans notre cœur, La prière de Jésus est à la fois un humble appel au secours : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi », et une invocation du nom de Jésus qui lui donne toute son ampleur. Elle résume en quelque sorte la foi chrétienne, puisque le cœur devient le réceptacle du Nom de Jésus qui lui communique l'énergie divine : « nul ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n'est par l'Esprit Saint » (1 Cor 12, 3).
La théologie orthodoxe, distingue en Dieu son « essence » et son « énergie ». Dieu, dans son essence, est inaccessible à l'homme : l'homme est un être créé, il n'est pas le créateur. L'essence humaine n'est pas l'essence divine. Mais Dieu se manifeste dans le monde. La manifestation de Dieu dans le monde se définit comme l'énergie de Dieu, commune aux trois personnes de la Trinité. A travers les énergies divines, Dieu se rend participable à l'homme : la rencontre entre l’homme et son Dieu, basée sur un désir de chacun pour l’autre, est la voie de la « déification » de l’homme.
Dans la prière de Jésus tout est cristallisé autour de Nom de Jésus qui va résonner sans cesse au fond de l'âme, y compris pour certains même dans le sommeil (« je dors mais mon coeur veille » : Cantique 5,2), en une communion incessante avec Jésus présent en son Nom dans le cœur de l'homme. La prière conduit alors à la paix intérieure qui surpasse toute intelligence (hesychia en grec).
La prière de Jésus est en fait celle du publicain dans l’Evangile : tout le message évangélique réduit à son essentielle simplicité. C’est aussi une confession de la Trinité : seigneurie de Jésus, filiation du Père, confession du Christ oint par l’Esprit Saint.
L’incocation de la prière de Jésus est une technique et un moyen ascétique. Mais ce n’est pas le but : la technique seule sans l’Esprit peut même se révéler démoniaque. Le but, c'est l'acquisition des dons de l'Esprit par une vie évangélique. La colonne, l'appui avec lequel se fait l'acquisition des dons de l'Esprit, c'est la prière. A partir de là, la prière sera assumée par chacun selon ses capacités et selon ses charismes. Mais même si le nom de Jésus devient le foyer d'une vie, l'invocation du Nom ne dispense pas des purifications ascétiques et de la pratique des commandements du Christ. Le Nom de Jésus est une lumière qui nous révèle si nos pensées, nos paroles et nos actions restent compatibles avec la vivante réalité que ce Nom exprime. C'est à travers cela que toute vie de prière trouve sa justification et marque son but final.